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Légalement, la Cour pénale internationale peut désormais poursuivre les auteurs de crimes commis
en Cisjordanie, y compris à Gaza et Jérusalem-Est.
Par Louis Imbert(Jérusalem, correspondant) et Stéphanie Maupas(La Haye, correspondance)
Publié aujourd’hui à 04h42, mis à jour à 07h43

Des enfants pendant les funérailles de deux frères de 16 et 12 ans à Khan Younis dans le sud de la
bande de Gaza, en 2014. SAID KHATIB / AFP



La procureure Fatou Bensouda pourra enquêter sur les crimes commis dans les territoires
palestiniens occupés par Israël depuis 1967, ont tranché les juges de la Cour pénale internationale
(CPI) vendredi 5 février. Fin 2019, elle avait annoncé l’imminence d’une enquête, mais
s’interrogeait sur sa compétence territoriale et avait renvoyé la question aux juges. Une façon, aussi,
de partager le poids de l’un des dossiers les plus sensibles de la Cour. Légalement, la CPI peut donc
désormais poursuivre les auteurs de crimes commis en Cisjordanie, y compris à Gaza et JérusalemEst.
Cette décision a été qualifiée par le premier ministre Benyamin Nétanyahou d’« acharnement
judiciaire ». « Le tribunal a une nouvelle fois prouvé qu’il est un organe politique et pas une
institution judiciaire », a-t-il ajouté. A la suite de sa réélection en mai 2020, le premier ministre
israélien avait placé l’enquête de la Cour au rang de « menace stratégique » pour Israël.
Comme Washington, Tel-Aviv n’a pas adhéré à la Cour, créée par un traité en 1998, et estime donc
qu’elle « n’a pas compétence à l’égard d’Israël ». C’est ce qu’avait défendu le procureur général
d’Israël, Avichai Mandelblit, dans un avis juridique remis à la procureure, jugeant que « toute
action palestinienne devant la Cour est invalide » et que la Palestine n’étant pas un Etat, elle ne
pourrait donc la saisir. Au printemps 2020, une quarantaine de professeurs, d’avocats, de diplomates
et d’ONG avaient fourni des avis à la Cour. Certains s’inquiétaient qu’elle puisse prendre des
décisions sur l’avenir.
« En statuant sur l’étendue territoriale de sa compétence, la Cour ne se prononce pas sur un
différend frontalier en droit international ni ne préjuge de la question d’éventuelles frontières
futures », écrivent les juges, assurant que « la création d’un nouvel Etat conformément au droit
international (…) est un processus politique d’une grande complexité, très éloigné de la mission de
cette Cour ». Reconnue en 2012 Etat observateur par l’Assemblée générale des Nations unies, 
l’Autorité palestinienne avait pu, sur cette base, adhérer à la Cour début 2015, à la suite de l’échec
d’une négociation visant à obtenir de l’ONU un calendrier du retrait israélien des territoires occupés
de Cisjordanie. Le président Mahmoud Abbas avait au préalable obtenu l’accord de toutes les
factions palestiniennes.
Puis, en mai 2018, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, avait saisi la
procureure des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité » dont l’apartheid, commis
« par le gouvernement d’Israël ou ses agents ». A l’époque, les soldats israéliens tiraient à balles
réelles sur des manifestants à Gaza, faisant des morts et des blessés.
« Attaques disproportionnées »
Si l’enquête n’est pas encore formellement ouverte, la procureure en a déjà dégagé les principales
lignes. Elle portera sur la guerre de l’été 2014 à Gaza, notamment sur les « attaques
disproportionnées » alléguées de l’armée israélienne, lors de l’opération « Bordure protectrice ».
Les responsables du mouvement palestinien Hamas seront aussi ciblés par cette enquête,
notamment pour utilisation de boucliers humains, homicide et torture.
La procureure veut aussi enquêter aussi sur la « marche du retour », ces manifestations organisées à
Gaza en 2018, dans lesquelles près de 200 personnes ont trouvé la mort.
Mais le volet qui inquiète réellement Israël est celui de la colonisation des territoires occupés depuis
la guerre de juin 1967. En ciblant la politique de colonisation, considérée illégale par de
nombreuses instances internationales dont le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour internationale
de justice, l’enquête s’attaque au cœur même de la politique israélienne.
En l’absence de négociations israélo-palestiniennes, cependant, la poursuite de ces démarches
judiciaires risque bel et bien de braquer les opinions publiques, et de réduire encore leur espace de
dialogue. Mais l’Autorité palestinienne n’y voit pas de contradiction. Elle a salué dans la décision
de la Cour une « victoire pour la justice », au moment où elle tente de se relégitimer sur la scène
internationale, en organisant de premières élections législatives et présidentielle depuis quinze ans,
annoncées pour mai et à l’été.
Cette décision intervient après la fin du mandat de Donald Trump, qui a vigoureusement soutenu la
politique de M. Nétanyahou, durant les quatre dernières années. Washington a facilité un projet
d’annexion d’une partie des territoires – finalement mis de côté –, et le département d’Etat a
reconnu la légalité des colonies. Cela a coïncidé aussi avec une accélération, inédite depuis les
années 1990, de leur développement en Cisjordanie. Il a enfin lancé une normalisation historique
des relations d’Israël avec des Etats arabes (Emirats arabes unis et Bahreïn, Soudan, Maroc), qui
laisse en marge la question palestinienne. Vendredi, M. Nétanyahou estimait que la Cour « donne
du grain à moudre à des éléments qui sapent nos efforts pour élargir le cercle de la paix [avec
d’autres Etats arabes] ».
Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’administration Trump augmente la pression sur la Cour
pénale internationale
L’administration Trump avait pris des sanctions contre la Cour, ciblant spécifiquement la
procureure, le chef du département de la coopération judiciaire et menaçant ses juges. Le ministère
palestinien des affaires étrangères a d’ailleurs salué, à l’annonce de la décision, le « courage » des
magistrats, restés « insensibles à des actes d’hostilité et d’intimidation sans précédent ».
Enquête sur l’Afghanistan
Il faut dire que Washington est aussi dans le viseur de la CPI. Les Etats-Unis s’opposent à une autre
 enquête, ouverte en mars 2020, sur des crimes présumés de l’armée américaine et de l’Agence
entrale de renseignement (CIA) en Afghanistan et ont aussi toujours mis en garde la Cour contre 
toute poursuite visant ses alliés. Les juges ont visiblement attendu l’arrivée de Joe Biden à la
Maison Blanche pour délivrer une décision qui reste néanmoins problématique pour Washington.
Les sanctions américaines contre la Cour n’ont toujours pas été levées, mais la question est sur le
bureau du département d’Etat dont le porte-parole, Ned Price, s’est déclaré, vendredi,
« sérieusement préoccupé par les tentatives de la CPI d’exercer une juridiction sur les militaires
israéliens », rappelant que, pour les Etats-Unis, « la juridiction de la Cour devrait être réservée aux
pays qui l’acceptent ». « Nous réaffirmons le soutien du président Joe Biden et son engagement
envers Israël et sa sécurité, notamment en s’opposant à des actes tendant à viser Israël de manière
injuste », a-t-il ajouté.
Lire aussi Des Etats européens veulent bloquer les sanctions de Washington contre la Cour pénale
internationale
Louis Imbert(Jérusalem, correspondant) et Stéphanie Maupas(La Haye, correspondance)

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