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« Il est très difficile, voir impossible,
de décrire l’indignité, l’outrage et la
souffrance d’un peuple privé de droits
pendant plus de cinquante ans »

Hagai El-Ad, directeur exécutif de B’Tselem,
devant le conseil de sécurité des Nations Unies le 18 octobre 201
8.

Je suis repartie en Palestine Occupée. Une nouvelle fois.
Avec moi, Claudette, engagée dans la défense des droits du Peuple de Palestine, pour que Justice et Paix adviennent sur cette Terre. Nous nous connaissons depuis longtemps. Nous partons de l’aéroport de Lyon St Exupéry, avec un vol direct d’Air France.Surprise ! Avant d’entrer dans la salle d’embarquement, nous sommes interrogées par des agents israéliens ( ?). Questions identiques à celles que nous avons habituellement en arrivant à Ben Gourion. Avec en plus : « comment êtes-vous venues ici ? » On nous demande notre billet de retour. La personne qui nous interroge appose sur notre passeport un autocollant blanc. A Tel Aviv, aucune question. L’interrogatoire a eu lieu à Lyon ! Ce qui en dit long sur la coopération France Israël dans tous les domaines. A chaque nouveau séjour en Palestine Occupée j’espère que la situation se sera améliorée. Il n’en est rien.
L’annexion de Jérusalem-Est s’accélère. Les colonies s’agrandissent. Beaucoup vont se rejoindre, emprisonnant la Cisjordanie. Les villages, proches d’elles, subissent en permanence les assauts des colons, parfois mortels.
Les Palestiniens vivant en Israël connaissent une situation d’apartheid.
Quant à la bande de Gaza, elle a été déclarée inhabitable par l’ONU d’ici 2020 si le blocus se poursuit. Impression étrange d’un lent génocide.
Et le monde se tait !

Pour la première fois, je suis revenue en France, inquiète, quant à l’avenir de cette Terre, la Palestine. Pour ne pas mettre en danger les personnes dont je vais parler, leur nom sera changé.

JERUSALEM-EST
Le 14 mai 2018 transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.
Le 18 juillet 2018 adoption de la loi : Israël Etat-nation du peuple juif, avec concernant la langue : «- la langue de l’Etat est l’hébreu
-la langue arabe a un statut spécial dans l’Etat
-la réglementation de l’usage de l’arabe dans et par les institutions de l’Etat sera fixée parla loi. »
Ces deux Evénements accélèrent la judaïsation de Jérusalem-Est.
Sur de nombreux panneaux indiquant des festivités, des lieux de visite, la langue arabe a disparu. A la poste de Jérusalem-Est les annonces ne sont faîtes que dans la langue hébraïque. Dans un hôtel de la vieille ville, géré par des Palestiniens, un agent israélien vient demander que l’on n’y parle que l’hébreu.
L’office de tourisme israélien organise des visites guidées, en hébreu, sans demander l’avis des responsables palestiniens.

Empêcher un peuple de s’exprimer par sa langue, c’est détruire son identité.

 

Quartier de Cheikh Jarrah

Environ 3500 Palestiniens vivent encore ici. Encore, car le vol des maisons s’accélère.
Dans ce quartier la première expulsion a eu lieu en 2009. Une centaine de Palestiniens vont l’être prochainement. Sur le bureau de la Haute Cour Suprême Israélienne, le dossier concernant 11 maisons palestiniennes, a été déposé pour une demande d’expulsion.Réponse dans quelques semaines.
On ne se fait guère d’illusion sur celle qui sera donnée. Il est aussi question de changer le nom de Cheikh Jarrah, pour une dénomination en Hébreu.
Ainsi ce quartier de Jérusalem-Est, très ancien, vidé de ses habitants palestiniens, deviendra un quartier résidentiel israélien où s’installeront les ambassades.
« Rien ne peut les arrêter. C’est très choquant. Al Azaria va être aussi détruit comme tous lesquartiers arabes autour de Jérusalem. Ce sont des crimes de guerre.»(Angela, juriste israélienne) Cette action ne relève-t-elle pas du nettoyage ethnique, considéré comme crime contre l’humanité ? Comme chaque année, je vais dire bonjour à une vieille dame palestinienne que je connais depuis longtemps. En 1947, expulsée de sa maison, près de Haïfa, où elle tenait un commerce, elle s’est réfugiée à Cheikh Jarrah. Elle a 6 enfants, 5 filles et un garçon. Son fils, lorsqu’il s’est marié, a construit sa maison près de celle de ses parents. En 2011, les colons lui ont volé. Un ordre d’expulsion a été remis à sa mère. Mais elle est toujours là. La police israélienne attend elle qu’elle meure pour mettre toute sa famille à la rue ? Cette vieille dame, âgée de 99 ans, garde une mémoire intacte de ce qu’elle a vécu en 1947.A plusieurs reprises elle me demande :
-Où habitez-vous ? et elle ajoute « ici, ce n’est pas ma maison ».
Pour elle sa maison est celle dont elle a été expulsée lors de la Nakba.( catastrophe )

Le centre d’investigation de MOSKOBIYYE
Situé en face de l’imposante cathédrale Russe de la Sainte Trinité, à Jérusalem-Ouest, proche de la vieille ville de Jérusalem-Est, le centre d’investigation de Moskobiyye attire mon regard par le nombre de rangées de fils de fer barbelés dominant et entourant ses murs. Ce bâtiment abrita le consulat russe dès 1860. Il a servi à l’administration britannique après la création du mandat en 1917. En 1967 il a été transformé par Israël en Centre de police. Il a la réputation d’être expert dans les tortures les plus atroces. Y sont conduits, après leur arrestation, de nombreux Palestiniens, femmes, enfants, hommes, pour y être interrogés. Interrogatoires musclés. Sans ménagement. Les tortures y sont quasiment systématiques.


Les personnes interrogées ici, peuvent y rester de longues années.

Youssef, originaire d’une ville de Cisjordanie, libéré depuis six jours, après 11 années d’incarcération, témoigne :
- J’étais condamné à une peine de 16 ans, pour des jets de pierres sur les soldats. Les gardes m’ont fait sortir avant la date prévue, en me disant « attention à ce que tu fais, sinon tu retourneras en prison pour 5 ans ». Avant mon arrestation, comme je savais que j’étais recherché par l’armée, je ne dormais jamais au même endroit. Elle m’a arrêté chez moi, un matin. J’avais 28 ans. J’étais marié, père d’un enfant de 5 ans. J’ai été relâché à Hébron, alors que j’habite à Jénine. Auparavant l’armée m’a « promené » pendant 3 heures dans le bosta, véhicule militaire où les prisonniers, yeux bandés, pieds et mains menottés, sont assis à même le plancher. Défense d’aller aux toilettes. Rien à manger.Dès mon arrestation, j’ai été conduit au centre d’investigation de Moskobiyye. Après les douloureuses séances d’interrogation, j’ai connu l’épreuve de la chaise métallique, sans dossier. Pieds et mains liés ensemble je suis resté ainsi du matin au soir, plusieurs jours de suite. J’ai connu le supplice de la pendaison: tourné contre le mur, suspendu par les mains, seuls les bouts de mes pieds touchant le sol. Séance d’une heure trente, renouvelée au bon vouloir des gardes.J’ai été mis en cellule d’isolement pendant trois mois. C’est une cellule minuscule, sous terre, où j’avais à peine la place de m’allonger. Au plafond
un trou pour l’aération. Pas de couverture. En hiver il y fait très froid et très humide. Par ce trou d’aération, pour faire souffrir davantage le prisonnier, les gardes israéliens envoient de l’air gelé. Au sol, un autre trou servant de toilettes.
Un jour, un garde est entré dans ma cellule, m’a fait mettre debout, m’a menotté les mains, bandé les yeux. Il m’a ordonné de marcher tantôt en avant, tantôt sur le côté droit, tantôt sur le côté gauche. A chaque fois, je me cognais la tête.
En trois mois, j’avais maigri de 17 kilos. Plus tard, j’ai fait un deuxième séjour de deux semaines en cellule d’isolement. Il faut être très fort pour ne pas devenir fou. Un copain de prison y a perdu la raison. Chaque soir il se couchait la main sous son oreille. Il conversait avec sa femme et avec sa fille. Pour que mon fils ne m’oublie pas, ma femme lui parlait souvent de moi. Elle lui faisait entendre ma voix enregistrée sur un téléphone. Un jour j’ai été pris de maux de ventre. Je suis allé voir le médecin de la prison. Il m’a dit« qu’est-ce que tu as mangé hier ? » et il m’a prescrit Akamol ! (paracétamol, valable pour tous les maux dont peuvent souffrir les prisonniers palestiniens).
En plus de Moskobiyye, j’ai séjourné 15 jours à Méggido et 7 ans dans le Nakab. Cettedernière prison est très grande. Plus de 1200 Palestiniens y sont incarcérés en même temps. Les gardes israéliens ont très peur que les prisonniers ne s’agitent. Moi, j’ai étudié et fait de la gymnastique pour m’entretenir. Ma femme est venue me voir chaque mois. Après 10 ans d’incarcération, il n’y a pas d’amende à payer à l’administration pénitentiaire. A Moskobiyye, on ne rencontre pas les enfants palestiniens incarcérés. Ils sont loin des adultes. A Méggido c’est possible. Parfois les gardes israéliens les aspergent avec du gaz lacrymogène.
A ma sortie de prison, comme pour tous les prisonniers palestiniens libérés, j’ai été conduit àl’hôpital pour des examens médicaux. Youssef paraissait en bonne santé physique et mentale. Plus tard développera-t-il, comme beaucoup d’anciens prisonniers, des troubles post traumatiques. ? Quelques jours après, je rencontre Maher. Il est resté 2 mois à la prison de Moskobiyye.
« j’ai été libéré il y a 9 ans. Jusqu’à ce jour, lorsque j’entends le mot Moskobiyyé j’ai monsang qui se glace »

Village de Khan El Ahmar
 

Les habitants de ce village, regroupant une trentaine d’habitations, faîtes de tôles, de planches, de toiles, appartiennent à la tribu Djahaline, expulsée du sud d’Israël dans les années 50. Ils se sont installés ici, avec leurs troupeaux, dans un lieu désertique, entre Jérusalem et Jéricho.
A chacun de mes séjours en Palestine, je suis accueillie à Khan El Ahmar.
De part et d’autre de ce village, se trouvent deux grosses colonies : celle de Maale Addumin et celle de Kfar Addumin.
Depuis plusieurs années, une juriste israélienne s’est engagée dans la défense des droits des communautés bédouines. En 2009, avec une ONG italienne, elle monte un dossier pour la construction d’une école pour les enfants de Khan El Ahmar. Une école avec des pneus ! L’Association France Palestine solidarité de St Etienne, contribue, pour le tiers, à son financement. Dès qu’elle sort de terre ordre est donné, par la police israélienne, de démolir ce qui a été construit. 
La construction se poursuit.

 

A la rentrée scolaire 2009, l’école accueille ses premiers élèves. L’autorité palestinienne nomme des enseignantes. Nouvel ordre de la police israélienne pour qu’elles ne viennent pas. Les cours commencent. Les élèves sont de plus en plus nombreux, des enfants bédouins venant d’autres villages. Aujourd’hui elle reçoit 170 élèves. Pour Israël qui souhaite relier les deux colonies citées plus haut, ceinturer Jérusalem et rendre impossible la création d’un état palestinien, c’est insupportable. Après 8 ans de bataille juridique, le 5 septembre 2018, la cour suprême israélienne donne son feu vert pour la destruction de Khan El Ahmar. Elle décide d’un autre emplacement, dans un village palestinien, à quelques 3 kms d’ici. Terrain où vivent déjà des bédouins, sans arbre, sans possibilité pour les troupeaux d’aller paître. Obligation d’acheter du fourrage pour nourrir les animaux. Des préfabriqués en tôle ont été installés pour l’école, sans eau, sans électricité. L’hiver les enfants se gèleront et suffoqueront l’été Tout près se trouvent une décharge publique et une cimenterie: beaucoup d’odeurs nauséabondes, de poussière,de bruits assurés.

Les Bédouins refusent de partir. Les enfants continuent d’aller à l’école. Les colons de Kfar Addumin déversent leurs eaux usées sur le village. Fin juillet la police israélienne tente de le vider de ses habitants. La résistance des bédouins est forte. Une adolescente est violemment arrêtée, incarcérée pendant 2 semaines. Ses parents sont obligés de payer une forte somme d’argent pour qu’elle puisse être libérée La résistance organisée se met en place. Des diplomates arrivent, prennent la parole. Plusieurs pays manifestent leur désaccord à cette destruction. 10 Une grande tente de la solidarité est installée à l’entrée du village. Des centaines de Palestiniens, de toute la Palestine se relaient ici, jour et nuit. Des internationaux sont présents. Des journalistes accourent.

Avec Claudette, en deux fois je m’y rends. Je suis saisie d’émotion.
Le drame qu’est en train de vivre ce village très pauvre est connu dans le monde entier !Après plusieurs tentatives infructueuses, où à chaque fois des personnes sont blessées,
arrêtées, l’assaut final est programmé. La résistance, face aux médias venus de partout est telle, qu’Israël recule. Une belle victoire même si ce n’est probablement que partie remise.Abu Khamis, le responsable de Khan El Ahmar, dira plus tard au journaliste de Middle EastEye « le problème de Kan El Ahmar est plus grand que le village lui-même…..il s’agit de la création d’un Etat Palestinien….si ce village est détruit c’est le rêve palestinien qui s’effondre… »

CUEILLETTE DES OLIVES

L’agrandissement constant des colonies, dominant les villages palestiniens, horizontalement et en profondeur, rend de plus en plus difficile ce temps de cueillette. Je rejoins le groupe IWPS (international womens peace service, composé de femmes du monde entier, formé à des techniques de non-violence) installé dans le village de Deir Istiya. Nous sommes 12, de plusieurs pays : Groenland, Angleterre, France, Islande.)

Chaque soir, un responsable palestinien, reçoit les demandes des fermiers en difficulté pour accéder à leurs oliveraies. Par groupe de 4, nous les accompagnons du matin jusqu’au coucher de soleil. Nous ne sommes pas des kamikazes. Nous ne servons pas de boucliers humains en cas d’attaque des colons. Une parmi nous résume bien la raison de notre présence. « Nous sommes ici : -pour être visibles -pour que la récolte se fasse plus vite -par amitié pour les Palestiniens »

Burin
Les deux premiers jours je rejoins une famille à Burin, village attaqué régulièrement par les colons d’Yitzhar. Son champ avait déjà été amputé de plusieurs de ses oliviers lors de la construction de la route 60. Cette route traverse toute la Cisjordanie, permettant aux différentes colonies d’être reliées à Israël. Très surveillée par Israël, protégée de part et d’autres par des rambardes métalliques, elle est aussi utilisée par les Palestiniens.
Nous cueillons de l’autre côté de la rambarde, en direction de la colonie. Le fermier qui nous accueille travaille seul avec sa femme et sa belle sœur. Quelques jours auparavant, sur les oliviers situés plus en hauteur du champ, les colons ont versé des produits chimiques au pied de ses arbres. 105 oliviers sont morts ainsi que 5 amandiers. Ils ont écrit en rouge sur les pierres « Mort aux arabes ». Il ne peut aller cueillir sur les arbres qui lui restent que le samedi matin, jour férié pour les Juifs « Le jour du Shabbat, le matin, les colons dorment. » Les Palestiniens qui ont leurs oliviers ici ont peur « chaque jour les colons viennent nous attaquer avec des pierres et des fusils. Les soldats les protègent ».

L’homme chante « je chante parce que je suis content que vous soyez là »
Si le premier jour aucun incident n’est à signaler, il n’en est pas de même le lendemainmatin. A notre arrivée le fermier nous attend, inquiet « les soldats viennent de partir. Ils nous ont donné 10 minutes pour quitter le champ ». Nous ont-ils vus ? Ils ne reviennent pas. Dans le milieu de l’après-midi, le fermier reçoit un SMS, le lit à haute voix. Une opération militaire est en cours, au Check-point d’Huwwara, à la sortie de Naplouse C’est la panique : « les colons vont nous attaquer » ! En toute hâte, nous rassemblons le matériel de cueillette, les sacs d’olives déjà ramassées pour les mettre dans la remorque du tracteur. Au même moment un avion militaire survole à basse altitude le lieu où nous sommes. Des soldats lourdement armés, le doigt sur la gâchette, marchent sur la route le long de la rambarde en regardant de notre côté. Nous quittons le champ par un tunnel sous la route 60. Impossible de rentrer dans le village, envahi par des véhicules militaires. Coups de feu. Nous nous arrêtons sous ses oliviers qui jouxtent le village, essayons de cueillir la « boule au ventre », les yeux rivés sur le va et vient des voitures des soldats, l’oreille tendue en direction des déflagrations.
Le fermier est suspendu à son téléphone pour essayer de comprendre ce qui se passe. Ses mains tremblent. Il fait nuit lorsqu’il part en tracteur pour s’assurer si l’accès de sa maison est possible.La route qui y conduit est libre Il revient nous chercher.

Le chauffeur chargé de nous ramener à Deir Istiya ne peut venir. Toutes les routes sont bloquées par l’armée. Nous attendons, résignées à passer la nuit chez le fermier, lorsqu’une de nous se met à paniquer. Crainte qu’elle ne fasse une crise d’angoisse. Un chauffeur de taxi habitant Burin se propose de nous accompagner. Il connait bien la région « j’essaye. Si je n’y arrive pas je vous ramène ici ». Par précaution il vide le coffre de sa voiture. Nous partons. Dès la sortie du village les soldats nous arrêtent. Vérification du coffre, des papiers. Quelques mètres plus loin, un soldat en station sur un talus, saute, atterrit devant la voiture pour l’obliger à s’arrêter. Nouvelles vérifications. Le chauffeur prend des petites routes. A chaque croisement il appelle un de ses amis « la route est coupée ? », change ou pas de direction. Il est tard lorsque nous arrivons à Deir Istiya. Soulagement ! Le lendemain, nous apprenons la raison de cette opération militaire de grande envergure : un jeune du village de Jamma’in a blessé un soldat à Huwara. Il a été arrêté. Tous les villages aux alentours ont connu le même sort que Burin. Pendant une semaine, le fermier ne pourra retourner cueillir dans son champ de l’autre côté de la rambarde. Interdiction militaire. Punition collective.

Jamma’in :

c’est ce village où un jeune hier a été arrêté. Nous sommes terrifiées à l’idée
des tortures qu’il doit subir. C’est samedi, jour propice pour aller cueillir près de la colonie d’Ariel. Le champ est important : 1000 oliviers dont 500 pour cette famille que nous accompagnons, venue nombreuse. Une jeune femme israélienne, engagée à l’association anticolonialiste « Ta’ayush (vivre ensemble) » se présente pour venir cueillir avec nous. Elle est bien accueillie. Et si c’était l’inverse ? Si un Palestinien se présentait en Israël pour travailler avec une famille israélienne ?
Près de la colonie, les chiens se mettent à aboyer. Nous apercevons un colon. Il ne viendra pas. Nous n’aurons pas de difficultés.

Dans le champ des arbres plusieurs fois centenaires, des ruines de maisons autrefois habitées, témoignent que cette Terre est bien celle de la Palestine

 

Kafr Qalil
Ce village, proche de Naplouse souffre tantôt des soldats, tantôt des colons de Bracha,tantôt des deux ensemble.
Les deux premiers jours nous cueillons dans un champ situé près d’un camp militaire
israélien, le long de la route qui rejoint Naplouse à Ramallah. 
15 Il y a deux mois les colons sont venus la nuit, ont incendié 270 oliviers.
« Chaque jour, les soldats viennent ici, nous demandent de partir. Si nous refusons ils nous envoient du gaz lacrymogène pour nous obliger à nous en aller. (Ibrahim, le propriétaire du champ) »

 

Aux alentours de midi, 6 soldats arrivent. Surpris de nous voir ici, ils bredouillent « Shalom. Pas de problèmes ? » Et ils repartent !
Le soir à 22 heures, Ibrahim reçoit l’autorisation militaire d’aller dans son champ proche de la colonie de Bracha. Autorisation d’une journée pour cueillir les olives sur 400 arbres ! Peu de Palestiniens acceptent d’accompagner Ibrahim. Ils ont peur.
Arrivés dans le verger, tristesse et colère. Les colons ont dépouillé de leurs fruits beaucoup d’oliviers. « je suis venue ici il y a un mois pour voir mes arbres. Tous avaient des olives » En bas du champ, sur la route, plusieurs voitures militaires israéliennes stationnent. L’armée surveille-t-elle qu’aucun incident ne survienne avec les colons ? Nous ne les verrons pas. A 16 heures nous rangeons le matériel de cueillette. L’autorisation s’arrête à cette heure là.
En quittant le champ je remarque un amandier à moitié brûlé, portant des fruits sur ses branches encore vivantes. Je les cueille. J’interpelle Ibrahim : « Ce sont les colons qui mettent le feu. Avant, au sommet de mon champ, chaque année, je récoltais une tonne d’amandes. Les colons nous ont tout pris. »

Qedumim
Pour nous, journée particulière puisque nous allons cueillir à l’intérieur de la colonie de Qedumim. Une autorisation militaire a été donnée à une famille palestinienne dont 70 de ses oliviers se trouvent ici. Nous sommes quatre internationaux. A l’entrée de la colonie des soldats nous attendent, vérifient nos passeports, nous demandent la raison de notre venue :
-« nous sommes touristes. Nous voulons tout voir
-Je vais vous laisser entrer. Attention, pas de provocation aux soldats.»
La grande barrière jaune est ouverte. Escortées d’un soldat, nous rejoignons la famille palestinienne.

Les colons ont déjà volé les olives sur une trentaine d’arbres. Nous cueillons sur ceux qui restent, entourées en permanence par 10 soldats qui ne s’éloignent jamais de nous. Nous protègent-ils des colons, ou protègent-ils les colons de notre présence ? Habituellement, dans cette colonie les colons attaquent. Il y a quelques années, avec des pierres, ils ont ouvert le cuir chevelu de la belle fille du propriétaire, lui ont cassé l’épaule.
Les soldats ont laissé faire.

VILLAGE D’URIF
Ce village se situe à quelques kms de Naplouse. Il regroupe environ 4000 personnes. Il est dominé par la colonie d’Yitzhar, un des bastions des colons les plus extrémistes. Ils n’hésitent pas à s’en prendre aux biens des fermiers palestiniens,
peuvent les tuer, protégés par les soldats israéliens. Le collège, à l’écart du village,
subit régulièrement les assauts de ces colons : gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc ou réelles. Les enfants ont peur. Parfois ils s’enfuient, terrifiés, reviennent chez eux en courant. Ce 10-3-2018, les colons ont tiré sur les élèves qui quittaient précipitamment le collège. Un enfant a reçu une balle dans la jambe. Il est tombé. Un jeune ouvrier palestinien, travaillant à proximité, s’est précipité pour le secourir. Un colon lui a tiré une balle dans le dos. Il est mort. Quelques jours plus tard, l’armée israélienne est venue chez lui, a arrêté son frère, l’a
emmené en prison !En octobre dernier, je passe le week-end chez des amis palestiniens.

Aux alentours de 2 heures du matin, je suis réveillée par les aboiements de chiens, le bruit de plusieurs véhicules qui passent sur la route. Ce sont 5 jeeps militaires israéliennes. Les soldats, une nouvelle fois, viennent dans la maison de la famille endeuillée. Plusieurs fois par semaine, l’armée, accompagnée de gros chiens d’attaque, rentre la nuit dans ce village, terrifiant ses habitants.
-J’ai quitté le camp de réfugiés où j’habitais pour ne plus voir les soldats. Je suis venue habiter dans ce village et c’est pareil, me dira cette mère de famille que je connais bien. Ici, comme dans toute la Palestine, l’armée israélienne cherche à recruter des jeunes palestiniens comme « indicateurs », pour collaborer avec elle. Quelquefois ils tombent dans le piège. Il y a quelques semaines un étudiant du village, a reçu un appel téléphonique d’un officier israélien parlant arabe : -
« j’aimerai t’inviter en Israël pour manger avec moi des bonnes pizzas et des bons
manakiches. (galettes garnies de Za’atar, de fromage, de viande hachée)
-non merci. Je suis étudiant. Je n’ai pas le temps. Ma mère fait aussi des bonnes pizzas et desbons manakiches. »

Ce jeune n’a jamais été arrêté par l’armée. Comment a-t-elle connu son numéro de
téléphone ? Crainte depuis ce jour-là, qu’il ne soit mis en détention administrative pour « preuves secrètes mettant en danger la sécurité d’Israël » !
A quelques kms d’Urif, Nadia, 17 ans, est emprisonnée depuis deux ans. Elle n’avait que 15 ans lorsqu’elle a été arrêtée à un check point, près de Salfit. Elle se serait approchée d’un soldat avec l’intention de le tuer ! Il a tiré. Nadia a reçu deux balles dans le corps, une dans l’épaule droite, une au niveau des côtes. Nadia s’est évanouie. L’armée l’a laissée 3 heures sans soin, avant de l’emmener à l’hôpital militaire où elle est restée deux mois. De là, elle a été incarcérée.
Son grand père va lui rendre visite chaque mois. Je vais le rencontrer chez lui.
-J’aime beaucoup Nadia. Elle a grandi chez moi. Ses parents, frères et sœurs vivent en Jordanie. Ils ne peuvent venir. Les déplacements leur coûteraient trop cher.
Lorsque je suis dans la prison, je ne peux la voir que derrière des vitres très épaisses. J’aimerais pouvoir la prendre dans mes bras, l’embrasser. C’est impossible. Elle met sa main contre la vitre, et je lui fais des bisous.
Après plusieurs mois à la prison d’Hasharon, où elle poursuivait sa scolarité, elle a été transférée à celle de Ramon. Ici les enfants ne peuvent étudier.
Nadia sera libérée en janvier 2019. Je crains que les autorités militaires israéliennes ne lui interdisent d’aller voir ses parents en Jordanie.
Quelques jours avant de rendre visite au grand père de Nadia, je lui ai téléphoné pour lui demander s’il pourrait apporter en prison un vêtement pour sa petite fille.
-oui, à condition qu’il n’ait ni boutons, ni fermeture éclair, ni lacet.
J’ai pu lui offrir un joli pull.

 


Tulkarem 

cette ville de 60.000 habitants, à 15 kms de Naplouse, se trouve
coincée entre le mur d’apartheid qui étrangle le marché du travail et plusieurs usines chimiques qui polluent le sol, empoisonnent lentement ses habitants.
En octobre 2005, en mission civile avec les CCIPPP (campagne civile internationale
protection peuple palestinien), j’avais rencontré Fouad, agriculteur. Il avait accueilli
chez lui le groupe dont je faisais partie, témoigné des difficultés permanentes qu’il
subissait de la part de l’armée israélienne.
Ses terrains, amputés de 50% par l’occupation israélienne, sont isolés entre le mur
d’apartheid et une usine de produits chimiques. .Lorsque le vent souffle d’Ouest en
Est, l’usine continue de fonctionner. Les fumées toxiques se répandent sur la
Palestine. Lorsque le vent souffle en sens inverse l’usine est fermée.
Depuis Fouad s’est orienté vers l’agriculture biologique, a construit de nouvelles
serres où poussent de nombreux légumes qu’il vend au marché. Pour les arroser il a
mis en place un système d’irrigation ingénieux, permettant d’utiliser le moins d’eau
possible.
Les soldats continuent de le harceler, de déchirer ses serres. Fouad les répare.
Régulièrement ils ferment pendant plusieurs jours le chemin accédant à ses jardins.

Dans cette ville de Tulkarem se trouve deux camps de réfugiés, un de 20.000
habitants, l’autre de 7.000.
A la nuit tombée, un avion militaire israélien survole la région à basse altitude.
Le dimanche 7 octobre 2018, un Palestinien de 23 ans a tué 2 colons, en a blessé
deux autres, dans la zone industrielle de la colonie de Barqan où il travaillait.
Il a réussi à prendre la fuite. Depuis il est activement recherché.
Plus tard, avec Claudette, nous rencontrons, chez elle, la mère d’un prisonnier
palestinien condamné à perpétuité.
-Je suis veuve depuis plusieurs années . J’ai 3 fils.
Ibrahim a été arrêté le 10 avril 2002. Il avait 19 ans. Il se trouvait dans le camp de réfugiés de Nour Shams, à Tulkarem. Une nuit, de minuit à 7 heures du matin, l'armée a encerclé le camp. Pour le faire sortir, elle a jeté
une bombe dans la maison où il s'était caché. Elle savait que cette nuit-là, elle le
trouverait ici. Ibrahim avait pris soin de changer son nom sur sa carte d'identité. Il a été reconnu à son visage. Comme il avait étudié le russe, un soldat l'a salué
ironiquement dans cette langue « Bienvenue Ibrahim".
Il a été conduit dans un centre d'interrogation. Pendant 4 jours, il est resté attaché, sur une chaise métallique sans dossier, pieds et mains liés ensemble .Les 40 jours suivants les gardes israéliens, pour le tenir éveillé, le piquaient chaque fois qu'il s'endormait !

 

Ibrahim a été condamné à 655 années de prison. Il aurait tué 6 colons! 100 ans par
colon! Après sa mort finira-til sa peine dans le « cimetière des nombres » ?
( parcelle de terrain, en Israël, avec des tombes marquées ou non des noms des
Palestiniens tués par les forces israéliennes au cours des 60 dernières années. 249 corps seraient enterrés ici, en violation grave du droit humanitaire international.)

Lors de son arrestation, la puissance de la déflagration lui a affecté gravement
l'audition. Je n'ai su où se trouvait mon fils que 45 jours après son arrestation.
Ibrahim, comme la plupart des prisonniers palestiniens, a connu la cellule
d’isolement : 40 jours sous terre sans voir personne, même pas le garde qui lui faisait 
passer un peu de nourriture infecte. Mais mon fils est fort. En prison, il étudie. Je peux lui rendre visite une fois par mois. Auparavant c’était tous les 15 jours, mais les conditions de détention pour les prisonniers palestiniens se sont durcies. Il y a quelques semaines je suis allée le voir avec ma carte d’identité. Le garde israélien m’a dit " va me chercher le papier qui prouve que tu es bien sa mère". Je suis repartie. Lorsque je suis revenue avec le papier demandé, je n’ai pu voir Ibrahim. La date d’autorisation de visite était dépassée! Mon fils change de prison souvent, quelquefois tous les trois mois, tous les 15 jours, voir même chaque jour. Pour aller d’une prison à l’autre, le voyage peut durer 48 heures dans des conditions de transport très difficiles. ( voir description du bosta dans témoignage de Youssef) Je lui envoie chaque mois 1200 NIS ( environ 300 Euros),pour qu'il puisse se nourrir, se vêtir, acheter des cigarettes. Je n'ai pas le droit de lui apporter des vêtements. En prison les caleçons sont interdits. Ne sont autorisés que les bermudas. Je vais le voir en prison avec mon plus jeune fils. Le second, Malik, ayant été, lui aussi, incarcéré pendant 5 ans ne peut m'accompagner. Interdiction militaire ! Nous partons de la maison à 7h30 le matin, pour revenir à 22h30. 15 heures pour un trajet qui ne devrait durer que 4 heures aller- retour. Avant de rentrer au parloir je dois enlever mes habits, être palpée. Malik, lors de son arrestation était marié. Sa femme était enceinte. Les soldats sont venus le chercher chez lui, ont tout cassé dans sa maison. Il a été libéré 5 ans après.

Tous les 5 ans les prisonniers condamnés à de longues peines peuvent entrer dans le parloir pour être photographié avec leur mère. La photo ne doit pas durer plus de 5 minutes. Il faut en demander l’autorisation un an à l’avance ! La mère doit déposer un certificat auprès des autorités pénitentiaires, attestant que c’est bien son fils.

Camp de réfugiés de Jénine
 

Ce camp regroupe environ 16.000 personnes. En avril 2002, il a été
victime d’une agression militaire israélienne d’une extrême violence. En
quelques jours environ 500 personnes sont mortes, dont plusieurs ensevelies dans les décombres de leur maison. 1500 ont été blessées. De très nombreuses maisons ont été bombardées. Les pays du Golfe ont financé leur reconstruction.
Aujourd’hui, plusieurs nuits par semaine, les soldats de l’armée israélienne, poursuivent leurs incursions dans le camp, tuent, arrêtent, mettent en prison, rentrent dans les maisons, saccagent tout ce qui est à l’intérieur, effraient les enfants. A l’une des entrées du camp se trouve une école de l’UNRWA (Office de Secours de travaux des Nations Unies pour les réfugiés). Tout près un centre accueille des adultes, des jeunes, des enfants.

 

A l’étage « la maison chaleureuse » reçoit chaque jour 30 enfants, pauvres de tout.
Repas assuré. Activités diverses. Pendant trois jours, auprès de 5 animatrices, je
coordonne un atelier « marionnettes » et jeux éducatifs. Je suis impressionnée par la motivation, le courage, la force de ces jeunes femmes qui ne manquent pas de difficultés dans leur vie familiale: fils en prison, mari malade, enfant handicapé.Des projets naissent autour des marionnettes. Le dynamisme créé pourra t-il perdurer ?
Les conditions de vie dans le camp sont tellement difficiles !


 

Je parlerai.
Je ne me tairai pas.
Je refuse, au nom de la neutralité, d’être complice de
l’immense injustice que subit le Peuple de Palestine.
Je ne suis pas antisémite. Je respecte profondément
les personnes se réclamant du judaïsme.
Je condamne le sionisme, cette idéologie politique qui
justifie l’occupation israélienne
.
 Décembre 2018. Denise
 Mouvement des « femmes en noir »
 Association France Palestine Solidarité de St Etienne

ANNEXE
Par Hagai El-Ad, Directeur exécutif de B’Tselem.
Hagai El-Ad, Directeur exécutif de B’Tselem, a pris la parole devant le Conseil de

sécurité des Nations Unies ce soir, à la session trimestrielle prévue par la résolution 2334. Merci, Monsieur le Président, Merci, membres du Conseil de Sécurité,Il est très difficile, voire impossible, de décrire l’indignité, l’outrage et la souffrance d’un peuple privé de droits pendant plus de cinquante ans. Ici, dans ces locaux, il est difficile de donner corps aux vies que les Palestiniennes endurent sous occupation. Mais bien plus grande que cette difficulté, est celle de faire face à une existence intolérable au quotidien, d’essayer de vivre, de fonder une famille, de développer une communauté dans ces conditions.
Cela fait bientôt deux ans que j’ai eu l’honneur d’être convié à témoigner devant ce Conseil.Deux ans de plus d’occupation, deux ans durant lesquels la routine des 49 années d’occupation s’est prolongée. Depuis ma dernière présentation ici, 317 Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité israéliennes, et treize Israéliens ont été tués par des Palestiniens. Israël a démoli 294 maisons palestiniennes, et a continué d’effectuer des arrestations quotidiennes, notamment de mineurs. Des colons israéliens ont vandalisé et déraciné des
milliers d’oliviers et de vignes. Les forces de sécurité israéliennes ont continué, sur une base régulière, d’entrer dans des maisons palestiniennes, parfois au milieu de la nuit pour réveiller des enfants, noter leurs noms et les prendre en photo. Les Palestiniens ont perdu d’innombrables heures à attendre aux check-points, sans explications. Et ainsi se poursuit laroutine de l’occupation.
Tout ceci est souvent présenté comme ‘’le statu quo’’. Pourtant, cette réalité n’a rien de statique. C’est un processus calculé et délibéré de fractionnement d’un peuple entier, de fragmentation de leur territoire, et de perturbation des vies des Palestiniens. C’est un processus de séparation de Gaza et de la Cisjordanie, et la Cisjordanie de Jérusalem-Est, diviser le reste de la Cisjordanie en petites enclaves. Au bout du compte, il n’en reste que des morceaux isolés, bien plus faciles à opprimer: une famille sur le point d’être ‘’expulsée’’ dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est; une communauté comme celle de ‘Urif, au sud de
Naplouse, essayant tant bien que mal de défendre ses terres agricoles face aux actions violentes et non-réprimées des colons israéliens ; ou encore la ‘’zone A’’ de la Cisjordanie, commodément présentée comme ‘’sous contrôle palestinien total’’, mais constituant en réalité de grands Bantoustans, rognés lentement mais sûrement par des colonies israéliennes qui continuent de s’étendre.

Rien de tout ceci n’est dû au hasard. Tout, au contraire, répond à une politique. Deux exemples récents et manifestes sont le comportement d’Israël lors des récentes manifestations à Gaza, et les plans israéliens pour Khan al-Ahmar, une communauté de bergers palestiniens.
Environ 200 personnes vivent à Khan al-Ahmar, à quelques kilomètres à peine de Jérusalem, dans une zone où Israël cherche depuis longtemps à minimiser la présence palestinienne pour l’extension de ses colonies.
Israël prévoit de raser cette communauté dans son intégralité, affirmant à cette fin que ses structures ont été construites ‘’illégalement’’. Le gouvernement affirme par ailleurs qu’il a généreusement offert aux membres de la communauté une réinstallation, allant jusqu’à garantir de mettre main à la poche pour financer le site de réinstallation. Israël considère que son action est légitime : la Haute Cour de Justice (cour suprême) n’y a-t-elle pas apposé sonsceau d’approbation ? Mais ces affirmations ne sont rien de moins que des falsifications,
minutieusement confectionnées par des juristes s’appuyant sur les formalismes légaux bancals et injustes. En premier lieu, l’argument selon lequel les habitations ont été construites sans permis des autorités israéliennes est fallacieux. Les Palestiniens ne sont pas intrinsèquement des hors-la-loi, contrairement à ce que certains suggèrent en Israël. Ils construisent illégalement car ils n’ont pas d’alternative. Pour les Palestiniens, il est tout simplement impossible d’obtenir des permis de construire de la part des autorités israéliennes car le plan
urbain établit par Israël en Cisjordanie est conçu pour servir les colons et déposséder les Palestiniens. En second lieu, le gouvernement omet de mentionner que les deux sites de réinstallation qu’il a si magnanimement offert laissent à désirer : l’un est situé à côté d’une décharge et l’autre à côté d’une station de traitement des eaux usées. De plus, un tel transfert mettrait en péril la capacité de la communauté à gagner sa vie. Enfin, dans son verdict, la Haute Cour a complètement ignoré la réalité du régime de planification urbaine en
Cisjordanie. Ainsi, le fait que la Haute Cour ait approuvé la décision du gouvernement ne rend pas la démolition juste ou même légale. Elle ne fait que rendre l’autorité judiciaire complice de ce qui ne constitue rien de moins qu’un crime de guerre, celui du transfert forcé d’une population protégée sur un territoire occupé. Avec une population de presque 2 millions de personnes, la bande de Gaza est essentiellement devenue une prison à ciel ouvert. Ses détenus ont organisé des manifestations ces six derniers mois, après avoir souffert plus d’une décennie du blocus israélien ayant mené à un effondrement économique, des taux de chômage crevant le plafond, la pollution de l’eau destinée à la consommation, un accès à l’énergie en chute libre, et au bout du compte, à un profond désespoir. Depuis le 30 mars, plus de cinq mille Palestiniens ont été blessés par des
balles réelles israéliennes, et plus de 170 ont été tués – dont au moins 31 mineurs. Les plus jeunes n’étaient que des petits garçons. Majdi a-Satari, Yasser Abu a-Naja et Naser Musbeh n’avait qu’onze ans lorsqu’ils ont été tués.
Tout comme pour Khan al-Ahmar, la Haute Cour israélienne a considéré les politiques israéliennes concernant la bande de Gaza ‘’légales’’ sur un certain nombres de points – notamment divers aspects du blocus – et a récemment approuvé les règles d’engagement autorisant les snipers israéliens à continuer de tirer, à distance, sur des manifestations à l’intérieur de Gaza.
Eh bien, le seul problème avec tout ceci est que ce n’est aucunement légal, moral, ni même vaguement acceptable. Cependant, tant que ce processus méthodique et implacable ne déclenche pas un outrage international et une action internationale subséquente, Israël peut  entretenir avec succès cette contradiction dans les termes : opprimer des millions de personnes tout en restant considéré comme une ‘’démocratie’’. Voilà comment, en résumé, fonctionne le schéma de l’occupation : les institutions israéliennes, dans lesquelles les Palestiniennes n’ont aucune représentation, déplacent des morceaux de papiers le long d’une ligne de désassemblage bien huilée. Comment légalisons nous la destruction de cette communauté ? Comment dissimulons-nous un nouveau meurtre ?
Comment nous emparons-nous de cette portion de terre palestinienne ? Avec plus de 50 ans d’expérience, nous avons eu tout le temps de parfaire cette mascarade parfaitement rodée.Nous sommes désormais de véritables experts en construction de cette façade de légalité, qui s’est montrée fort utile et nous protégeant de toute conséquence internationale tangible. Aucune de ces actions n’a de rapport avec la sécurité, contrairement à ce qu’affirme Israël. En revanche, elles affectent le concept amorphe que l’on appelle le Processus de Paix au Proche Orient. Si l’on regarde au-delà de cette expression, il apparaît clairement que cette solution,
qui reste supposément à négocier, est en fait dictée, jour après jour, par des actions israéliennes unilatérales. Membres du Conseil, dans les coulisses de ce ‘’processus’’, c’est la Palestine qui s’étiole. Considérez ces analogies historiques.
L’empêchement du vote des personnes non-blanches était une pierre angulaire des États du sud américain sous les lois Jim Crow, mais nous sommes allés encore plus loin, avec rien de moins que l’oblitération du vote. Les Palestiniens sous occupation demeurant non-citoyens, ils ne peuvent pas voter, et n’ont surtout absolument aucune représentation au sein des institutions israéliennes qui gouvernent leurs vies. Ou jetez un œil aux systèmes de planification discriminatoires et au système légal séparé dans les territoires occupés. Ceux-ci nous renvoient à la politique du  Grand Apartheid en Afrique du Sud. S’il est entendu qu’aucune des deux analogies n’est parfaite, l’Histoire n’offre pas la précision ; elle propose
une boussole morale. Et cette boussole invite au rejet de l’oppression israélienne des Palestiniens, avec la même conviction inébranlable au nom de laquelle l’humanité a par le passé rejeté ces immenses injustices.
Israël semble suivre une boussole différente, et s’affaire à supprimer tout obstacle compromettant son objectif. Les efforts en cours pour légiférer contre les organisations israéliennes pour les droits humains sont désormais accompagnés par une nouvelle norme dans laquelle l’opposition à l’occupation est considérée comme une trahison. Les déclarations du gouvernement israélien en amont de cette réunion du Conseil ne sont qu’un triste exemple de plus de l’esprit dominant de notre époque. Au Premier Ministre Nétanyahou, je dis ceci :
vous ne nous ferez jamais taire – ni nous ni les centaines de milliers d’Israéliens qui rejettent un présent fondé sur la suprématie et l’oppression, et s’engagent pour un future bâtit sur l’égalité, la liberté et les droits humains. Je ne suis ni un traître, ni un héros. Les vrais héros sont les Palestiniens qui endurent cette occupation avec courage et persévérance ; qui sont réveillés au milieu de la nuit par des
soldats débarquant dans leurs maisons ; qui savent que si un de leurs proches est tué, l’impunité sera garantie aux responsables ; qui restent sur leur terre tout en sachant que ce n’est qu’une question de temps avant que les bulldozers arrivent.

Je suis un membre d’une équipe d’environ 40 Israéliens et Palestiniens engagés. Nous ne nous intéressons pas aux nombres d’Etats nécessaires pour arriver à une ‘’ solution ". Nous nous concentrons plutôt sur la réalisation des droits humains. C’est pourquoi nous rejetons l’occupation. Nous la rejetons parce que la réalité actuelle est entièrement incompatible avec le droit et la justice. C’est une réalité entièrement incompatible avec une vie de liberté et de dignité pour l’ensemble des 13 millions de personnes – Israéliens comme Palestiniens – vivant entre le Jourdain et la Méditerranée. Voilà le futur pour lequel nous nous engageons.
Certes, il parait lointain, et semble s’éloigner toujours plus. Mais nous pouvons faire de ce futur une réalité. Une action internationale robuste peut le rendre possible. C’est là l’unique option non-violente viable. Le monde doit signifier à Israël qu’il ne restera plus les bras croisés, qu’il interviendra contre le démantèlement du peuple palestinien. L’ordre international basé sur des règles ne se défendra pas de lui-même. La fragmentation de la Palestine est néfaste tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens, ainsi que pour le droit international et les valeurs qu’il porte. Il est du devoir du Conseil de Sécurité – vos délégations, réunies dans cette pièce – de surveiller cela. Les enjeux sont énormes. Le Conseil de Sécurité doit agir. En fait, il a déjà décidé de le faire, certes de façon très limitée.
Néanmoins, et ce n’est pas un secret, le Secrétaire Général n’a jusqu’à ce jour pas eu grandchose à rapporter au Conseil concernant la mise en œuvre de l’article 5 de la résolution 2334. Avant de terminer, je voudrais revenir sur Khan al-Ahmar. La nécessité d’agir est critique et urgente.
Alors qu’Israël met à l’épreuve la volonté politique de la communauté internationale, pour voir jusqu’où et à quelle vitesse il peut avancer, le sort de Khan al-Ahmar va déterminer celui des communautés palestiniennes à travers l’ensemble de la Cisjordanie. Jusqu’à maintenant, les préparations israéliennes à la démolition de Khan al-Ahmar se poursuivent à un rythme soutenu. Les déclarations internationales à haut niveau n’ont pas eu d’impact, pas même la voix unie, exprimée le 20 septembre, des cinq membres européens actuels de ce Conseil,
accompagnés par l’Italie (ancien membre), la Belgique et l’Allemagne (futurs membres). Je vous adresse mon appréciation et mes remerciements les plus sincères. Sans vos efforts, je doute que Khan al-Ahmar existe encore aujourd’hui. Mais Israël a déjà répondu à votre déclaration en continuant ses préparatifs pour la démolition. Il y a quelques jours à peine, le ministre de la défense a décrit un acte qui constituerait un transfert forcé comme un simple ‘’déplacement d’un petit groupe de personnes dans un rayon de quelques kilomètres’’. Il vous
a demandé de cesser votre ‘’ingérence flagrante’’ dans les plans israéliens, comme si le transfert forcé de Khan al-Ahmar, une étape stratégique dans le projet de démantèlement israélien, devait être considéré comme une affaire interne, domestique.Membres du Conseil de Sécurité : vous avez parlé, et c’est ainsi qu’Israël vous a répondus. Il faut passer à l’action.
Merci beaucoup.
Hagai El-Ad, Directeur exécutif de B’Tselem

Tag(s) : #Palestine un jour viendra
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