Au cours de mes différents séjours en Palestine occupée, de 2003 à 2014, j’ai voulu rencontrer et partager du temps avec les Bédouins de Palestine, de nationalité palestinienne et avec ceux du Désert du Néguev qui sont de nationalité israélienne. Le Néguev, annexé à Israël en 1947, appartenait avant à la Palestine.
Visages burinés par le soleil, femmes de noir vêtues, enfants courant pieds nus, habitations construites de « bric et de broc », transpirant sous le poids de la misère, les Bédouins, dans le Néguev, en Palestine occupée, sont harcelés en permanence par l’armée d’occupation et par la police israélienne qui souhaiteraient les voir partis.
Avant la création de l’Etat d’Israël, en 1948, les Bédouins, dans le désert, constituaient la majorité de la population du Néguev. Pasteurs nomades, ils se déplaçaient avec leurs troupeaux à la recherche des pâturages. Ils vivaient de la vente de leurs animaux, des couvertures et des tapis qu’ils tissaient.
Après 1948, pourchassés par l’armée israélienne, la majorité des Bédouins du Néguev, ont dû fuir et ont été contraints de se sédentariser. Aujourd’hui, les Bédouins tentent de vivre dans 48 villages, assez isolés les uns des autres, à l’intérieur des 10% de leur ancien territoire. Parmi ces 48 villages, 7 ont été reconnus officiellement par Israël, ont accès à l’eau, à l’électricité et bénéficient d’écoles et de routes. Les autres ne sont mentionnés sur aucune carte et n’ont aucune existence légale. L’eau et l’électricité leur sont refusées. Pas d’écoles pour les enfants. Pas de services de santé. Quelque 100.000 Bédouins tentent d’y survivre. La police et l’armée israélienne les surveillent en permanence par air et par terre, arrosent de pesticides leurs champs pour que leurs troupeaux ne puissent paître et détruisent régulièrement leurs lieux d’habitation ainsi que les enclos de leurs animaux. Les Bédouins se regroupent par tribus. De nationalité israélienne et de religion musulmane, ils parlent arabe.
Une année, avec une amie, nous avons été accueillies dans une famille bédouine d’un de ces villages : Abu Kaf. Pendant dix jours, nous avons partagé ce qui faisait son quotidien : traite, matin et soir, de ses deux vaches, fabrication du fromage, pétrissage du pain, ménage et préparation des repas. La vie de famille est simple, proche de la nature, loin du gaspillage et de la société de consommation.
Cette famille vit dans le Néguev depuis toujours. La mère a grandi dans sa tente. La nuit, ses deux derniers fils, âgés de 10 et 11 ans, dorment à côté d’elle. Il en sera ainsi jusqu’à leur adolescence. Chez les Bédouins, le lien est très fort entre la mère et ses fils. Les traditions millénaires structurent leurs enfants. L’hospitalité et la générosité sont sans limites. Tout le monde vit à même le sol. Le père parle couramment l’arabe, l’hébreu et l’anglais. Il a obtenu un travail de guide dans une agence de voyage israélienne qui organise des circuits touristiques dans le Néguev. Ce travail saisonnier, ne lui permet pas de faire vivre correctement ses 13 enfants.
Ici, comme dans tous les villages non reconnus par Israël, l’inquiétude règne en permanence.
« Chaque fois que l’on construit quelque chose de neuf, c’est détruit.
Les maisons que nous construisons sont repérées par avion. Un ordre de démolition nous est remis. Si, très rapidement, nous ne le faisons pas nous-mêmes, nous sommes obligés de rembourser les frais de démolition à l’Etat israélien qui se charge de le faire.
Si un Palestinien travaille pour nous, on ne peut pas l’héberger. On ne peut pas dormir chez lui. On a peur : l’armée viendra et nous chassera. Si les Israéliens nous voient avec un drapeau palestinien, ils nous chassent « Allez en Palestine ».
Dans le Néguev (Naqab en arabe), le village bédouin d’AL Araqib souffre particulièrement de l’obsession israélienne qui veut le détruire.
Ce village est très ancien. Son cimetière date de 1914. Décrété « village non reconnu » par Israël, il ne bénéficie ni d’eau, ni d’électricité.
Le 28 octobre 2014, Stephanie Westbrook* écrivait :
« La dépossession est spécialement cruelle à Al-Araqib. Parce que leurs maisons ont été détruites plus de soixante-dix fois depuis 2010, les Bédouins du village sont contraints de vivre confinés dans le cimetière. Les gravats de leurs vieilles maisons ont été enlevés par l’administration, mais des restes de cuisines ou de salles de bain encombrent encore le sol.
Aujourd’hui, les Bédouins doivent compter sur un puits foré en 1913 pour avoir de l’eau. « Avant, nous avions l’électricité et l’eau dans nos maisons, mais le gouvernement a détruit l’infrastructure », dit le résident Sheikh Sayah al-Turi. « Nous voulons juste l’eau au robinet comme n’importe qui d’autre. »
Par contre, de l’autre côté de la route, l’eau est abondante dans la colonie réservée aux Juifs de Givot Bar. Les pelouses sont vertes dans cette colonie – même si elle est dans le désert.
Givot Bar a été créée il y a dix ans par le Mouvement Or.
Avec son partenaire, le Fond National Juif (FNJ), ce groupe sioniste construit un réseau de villes exclusivement pour les Juifs. Le Mouvement Or s’est fixé un but ambitieux : faire venir 600.000 Juifs dans les régions actuelles du Naqab et de Galilée d’ici 2020. [……]
Pour atteindre ce but, les deux organisations favorisent le projet vieux de plusieurs dizaines d’années de dépossession des Palestiniens. [……].
[…..] Environ 4.500 citronniers, figuiers et oliviers ont été arrachés à al-Araqib.
[….]Les autorités israéliennes ont interdit aux Bédouins de transporter de l’eau à al-Araqib. Tankers et camions pour le transport de l’eau ont été confisqués lors des démolitions du village.
Les villageois d’Al Araqib [….] ont refusé de vendre un centimètre de terre aux autorités israéliennes. Ils ont aussi reconstruit leur village après chaque démolition. [….)
Et les oliviers qui ont été coupés plutôt que complètement déracinés sortent de nouvelles pousses.
« C’est très symbolique pour nous », dit Aziz al-Turi, fils de Sheikh Sayah al-Turi.
*Stephanie Westbrook est une citoyenne américaine qui vit à Rome, Italie. Ses articles ont été publiés par Common Dreams, Counterpunch, The Electronic Intifada, In These Times et Z Magazine. Suivez-la sur son compte twitter : @stephinrome.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
le 22 mai 2015 le village Al Araqib était détruit pour la quatre vingt quatrième fois
Le 30 -11-2013, est voté le plan Prawer-Béguin, pour contraindre quelques 70.000 Bédouins à abandonner leurs villages et à se regrouper dans des localités prévues par Israël. Ainsi, place nette serait faîte pour la poursuite de la colonisation, de la judaïsation de cette région du Néguev. Les Bédouins refusent de partir. Face à une levée de boucliers internationale, le gouvernement israélien recule et annule ce plan Mais la destruction des villages non reconnus se poursuit.
Les Bédouins de la Palestine occupée sont des agro-pasteurs semi-nomades. Ils vivent aux alentours d’Hébron, de Bethlehem, de Jérusalem, de Jéricho, dans la vallée du Jourdain.
Citoyens palestiniens, leurs campements sont le plus souvent situés en Zone C (sous contrôle militaire israélien), à la proximité des colonies, des champs de tirs et des bases militaires. Des routes réservées aux colons, sillonnées en permanence par l’armée et la police israélienne, contournent leur territoire. Ce qui ne leur permet pas de circuler librement, de trouver des terres de pâturage et de vendre leurs produits.
Pour tout projet : construction d’une réserve d’eau, d’une école, d’un dispensaire, raccordement à un réseau électrique, les Bédouins sont
contraints de demander un permis à l’autorité israélienne. Permis rarement accordé !
La Tribu de Jahalin, regroupe environ 7500 personnes. De chaque côté de la route qui relie Jérusalem à Jéricho, elle s’étend sur plusieurs campements de 25 à 30 familles. Leurs maisons construites de planches, de cartons, de plastique résistent mal au froid et aux fortes pluie.
Afin de permettre aux enfants d’aller plus facilement à l’école très éloignée de leur maison, un projet de construction d’école à partir de pneus de voiture est lancé, à l’initiative d’Angela Godfrey Goldstein, engagée dans la défense des droits des Bédouins. Une technique brésilienne est retenue. Deux mille pneus de voiture sont récupérés et remplis de terre mouillée. En séchant, ils se rigidifient. Bédouins, Israéliens engagés contre la politique d’occupation de leur gouvernement, internationaux, travaillent ensemble à cette construction.
L’association France Palestine Solidarité de St Etienne a soutenu financièrement ce projet La construction démarrée le 26 mai 2009, s’achève fin août 2009.
Belle création et belle réalisation humaine !
Dans un premier temps, ce sont 4 classes qui peuvent accueillir les enfants. Aujourd’hui, il y en a 7. Les enseignants sont mis à disposition par l’autorité palestinienne.
Israël a refusé de donner un permis de construire, a menacé plusieurs fois de démolir l’école et a interdit aux enseignants de s’y rendre. Qu’importe ! A l’appel d’Angela Godfrey Goldstein, des diplomates du monde entier se sont mobilisés. Cette école fonctionne toujours, accueillant de nombreux élèves et attirant de nombreux visiteurs.
J’ai eu plusieurs fois la possibilité de rendre visite aux Bédouins de cette tribu .
J’ai dormi chez eux.
J’ai été témoin des attaques des colons de Kfar Addumin contre les enfants et les femmes qui tentaient de ramener leurs chèvres dans leur enclos, les hommes ne pouvant les aider car aussitôt arrêtés par la police israélienne.
J’ai entendu les hélicoptères militaires survoler, jours et nuits, le campement.
J’ai écouté les pères de famille exprimer leur souffrance de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, de dépendre pour survivre de l’aide humanitaire.
A chaque rencontre, j’ai été bouleversée par l’accueil de ces hommes, de ces femmes qui résistent dans la dignité à l’occupant israélien tout puissant.
En Cisjordanie comme dans le Néguev, l’administration israélienne, invoquant des raisons « humanitaires » s’emploie à faire partir les Bédouins pour les rassembler dans un vaste bidonville proche de Jéricho où s’entasseront 12.000 personnes. Elle affirme qu’ils seront installés dans des logements décents, qu’ils auront accès à l’eau, à l’électricité et aux égouts. Mensonge, affirme l’avocat israélien Nouweima .
Les Bédouins dénoncent leur expulsion. Celle-ci laisserait place à l’agrandissement des colonies israéliennes, empêchant la Cisjordanie d’être reliée à Jérusalem.
Comme mesure de rétorsion, Israël menace de retirer l’autorisation de travailler sur son territoire aux Bédouins qui en avaient obtenu le droit.
En 1963, le général Moshé Dayan écrivait : « Il faudrait que nous transformions les Bédouins en un prolétariat urbain pour l’industrie, les services publics, la construction et l’agriculture. Le Bédouin ne vivrait plus sur ses terres avec son troupeau, mais deviendrait une personne urbaine qui rentre chez elle le soir et enfile ses pantoufles….Les enfants iraient à l’école. Ceci serait une révolution, mais c’est réalisable en deux générations….ce phénomène des Bédouins disparaîtra. »
C’est sans compter sur l’attachement des Bédouins à leur terre, à leurs modes de vie, à leurs traditions ancestrales millénaires. A leur force de résistance. A leur courage.
Dany. Association France Palestine Solidarité de St Etienne