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Rappel des faits :A la nuit tombée du lundi 27 juillet 1891, deux commerçantes ayant pignon sur rue allaient être assassinées chez elles, tout près du centre-ville. Ce double crime souleva une énorme émotion, dans une époque pourtant blasée de meurtres. Mais celui-ci, rapproché des plus sauvages du temps, et peut-être commis par une bande, faisait partie de ceux qui échappaient à l'usage. Alors, s'enfla vite la sourde appréhension de le voir, comme tant d'autres, rester inexpliqué.

 

L'ASSASSIN PRÉSUMÉ

le sourd halètement devint bientôt plus intense. Le train de minuit quarante-six arrivait en gare de Terrenoire. D'un pinceau de lumière, la lanterne reniflait la voie avec autant de prudence que les deux limiers de la Sûreté à l'affût sur le quai. Chargés de flairer un dangereux passager, ils s'y placèrent chacun à une extrémité, pendant que le brigadier de gendarmerie et ses quatre hommes se dissimulaient vers les diverses issues.

A onze heures dans la soirée du 4 août, le parquet avait reçu, venant de Genève, la dépêche suivante : "individu signalé pris train trois heures avec billet pour Terrenoire, avait avec lui une malle enregistrée pour même destination". Il ne pouvait échapper à la description détaillée qu'on tenait à son sujet : un solide gaillard, dont la blondeur d'une moustache très fournie ne suffisait pas à tempérer l'air mauvais.

Son apparence d'Hercule forain n'avait rien d'usurpé, puisqu'il avait un moment exalté sa généreuse anatomie en défiant, sur l'estrade, les gros bras de passage. Débarquèrent deux voyageurs qui, à moins d'être montés sur échasses et soudés littéralement l'un à l'autre, n'auraient su annoncer les mêmes mensurations. Par contre une malle fut enlevée au fourgon. Elle était bien au nom du lascar en question, Raymond Benoît.

UN COUPABLE IDÉAL

Cet ex-ouvrier, mineur à Villebœuf, âgé d'une trentaine d'années, avait retrouvé, la semaine d'avant, une ancienne amie à Vienne. L'occasion s'offrait à elle de racheter l'abandon vénal de son corps, resté jadis peu de temps celui d'une vierge émue. Comme drapée dans les plis d'une nouvelle innocence, elle soulagea sa conscience auprès de la justice. A Vienne où elle avait chambrette en maison de volupté, Benoît avait payé ses dettes. Pour l'inciter à le suivre, il lui confia posséder beaucoup d'argent. Il ajouta en mal d'épanchement : "j'ai fait une bonne affaire". Et il brandit une pochette pleine de pièces de cinq francs.

Le couple reconstitué partit pour Lyon où, deux jours durant, il mena une joyeuse vie. Benoît acheta une malle pour un voyage en train à Genève. Mais à peine arrivée, la femme, qu'inquiétaient les allures de son compagnon, voulut repartir pour Saint-Étienne. Benoît eut beau lui faire miroiter des plaisirs dignes des mille et un nuits, sa décision était prise. Il l'escorta à la gare, prit son billet de retour, et lui assura qu'il la rejoindrait vite. La perspective ensorcelait si peu l'intéressée, qu'elle avait préféré aller le dénoncer.

La malle saisie contenait une enveloppe d'étoffe, avec à l'intérieur 300 francs en écus. Plus intéressante fut la prise de son propriétaire. Après avoir tout bonnement passé la nuit à Lyon, il fut interpellé par le chef de gare de Terrenoire, à sa descente du train, le lendemain matin. La validité du billet servit de prétexte pour le livrer aux gendarmes. Furieux de s'être laissé berner, le sieur Benoît répondit aux questions de façon désinvolte. Il finit malgré tout par avouer une condamnation à deux mois de prison. Il la devait à une contravention au Jardin des (belles) Plantes. Là, en accord avec une beauté volage, il passa sans détour du leste badinage à la plus franche polissonnerie.

Rien pourtant ne fit inculper Benoît du meurtre des deux quincaillières. Sans doute le personnage n'avait rien d'un chérubin, même en version musculeuse. Les trois cents francs découverts provenaient d'un vol commis dans son village natal, près de Montélimar, sur un malheureux vieillard qu'il avait à moitié assommé. La majeure partie, il l'avait dépensée à Vienne et à Genève. Mais, concernant le crime de la rue de Roanne, aucune charge ne put être retenue contre lui, bien que son aplomb goguenard trempé dans un moule de lutteur le rendît déplaisant. Le public le hua, hurla "À mort l'assassin" quand l'homme arriva, en voiture cellulaire, au palais de justice. Il dut pourtant se rendre l'évidence : si l'habit ne fait pas le moine, la mine patibulaire ne fait pas, non plus, le pendu.

À suivre...

 

Tag(s) : #le roman de l'Histoire Serge Granjon
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