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ACTE 6

A Francfort-sur-le-Main, nous avions changé de train, et embarqué dans une machine à remonter le temps. Les wagons étaient inconfortables… Ils tanguaient, ils tremblaient, gémissaient, nous berçaient, mais toutes les demi-heures, des uniformes imperturbables nous réveillaient pour vérifier nos papiers ; Nous étions seuls, allongés, dans notre compartiment à huit places. Nous avions passé la frontière dans la nuit, près d’Eisenach. Personne ne fouilla nos bagages. 

La gare de Leipzig tout simplement magnifique, avec son immense verrière… Sur le quai, une nurse des années 20, ou l’idée que je m’en faisais, avec longue cape marine, col blanc et petite coiffure, baladait un élégant et haut landau… 


A Dresde on m’attendait avec un bouquet de tulipes à éclore et force sourires. 
Dans le bureau du directeur de la Revue, personne ne parlait Français. On nous offrit une boisson incolore inconnue dans de petits verres. Manuel n’aimait pas les alcools forts. Eux si, apparemment, ils mirent leur verre sur le bord de la lèvre inférieure, et hop d’un coup de poignet surentraîné, ils balancèrent le tout sur leurs amygdales... Manuel tenta de siroter le breuvage, il s’étrangla longuement, ce qui me fit rire bruyamment et l’énerva passablement. 


Ensuite nous fûmes invités, dans un salon privé, à l’étage d’un grand hôtel-restaurant de la ville, où un grand poète séjourna ou déjeuna, ou bien je ne compris pas… Je jetai mon dévolu sur deux plats complets, croyant choisir une entrée et un plat principal, malgré leurs objurgations, malheureusement en langue étrangère. Grand moment de solitude. Rouge de honte, confuse, dépourvue de mot d’excuse, je ne pus terminer les deux rations de pommes de terre certes traitées différemment, accompagnant deux portions généreuses de viande, une grillée et une en sauce… Sans oublier quelques légumes. Manuel ne voulut pas me sauver… La possible conclusion : les Français crevaient de faim… La France, plus ça non plus ! 


Pour aider à la digestion, nous visitâmes Dresde, ses magnifiques monuments reconstruits après la Guerre, sans oublier son vieux pont ; déambulant tranquillement au beau milieu des rues. Désertes ou presque, peu de véhicules. J’entendis quand même le vrombissement célèbre de quelques rares Trabant. 


Après avoir traversé une forêt, très bien entretenue ( par les chasseurs, j’avais cru comprendre) , nous arrivâmes, à la maison de vacances, de l’édition, par une allée, bordée d’arbres fruitiers. Dans ma bouche auvergnate, l’ « Allée de l’Empereur » devenait « Allée du Fromage »… La responsable, était angoissée, elle n’avait jamais reçu de Français… Le second couple venait en voiture, des Chtis… En tout, nous étions 36. Elle prit nos passeports, et nous donna de l’argent quasi vernaculaire… Elle nous expliqua tout, nous ne comprîmes rien ! Nous apprîmes à la fin du séjour, qu’elle avait oublié de nous signaler au bureau de Police local, et que, sans le savoir, nous étions en grand tort ! 


Notre chambre plus que spacieuse, comportait des lits jumeaux, non côte à côte, parallèles tous deux au mur. Je dormis donc aux pieds de Manuel. Je me souviens de la chaleur qui régnait. Ils ne plaignaient pas le charbon… Les deux autres Français, avaient, eux, une chambre bien plus petite, mais avec un lit matrimonial et une douche. Pourquoi pas nous ? Peut-être parce que nous n’étions pas mariés ? Peut-être parce que Manuel avait 23 ans de plus que moi ? Peut-être que – CENSURÉ… 


Les petits déjeuners, un buffet géant tellement tentant, joyeux avec des saucisses grillées en forme de hérisson. Aux autres repas, Je découvris le ketchup, également la sauce pour les laitues, de l’eau citronnée légèrement sucrée. Je me méfiais désormais des menus, et choisissais en montrant le plat qui me plaisait chez nos voisins de table, quitte à me lever et à faire le tour… D’autant plus que le Chti qui se targuait de comprendre l’Allemand, voulut commander pour nous. Je refusai quand il nous eut raconté « il ne me faut pas d’œufs… » et que la Serveuse lui apporta sa commande, une magnifique assiette, où, sur le dessus trônaient deux bons gros œufs au plat… Qu’il mangea, par politesse.


À la veillée, nous aurions pu jouer au ping Pong, si nous avions su, dans une salle au Sous-sol ; près de la salle de télé, que nous aurions pu regarder, si nous avions compris un traître mot de ce charabia… (pardon, Goethe et consorts !). Des images, provenant du Pays voisin jumeau mais dizygote ô combien, ne nous alertèrent pas plus que ça, nous étions le samedi 26 avril 1986. Qui se souvient ? 


Nous préférions stagner dans le bar, à boire avec Helmut et Gretel, avec lesquels nous avions sympathisé, au premier regard. Le nez d’Helmut était une gigantesque fraise, il l’arrosait tous les soirs, avec de la bière et de la vodka… Le bar fermé, nous étions nombreux pourtant, à continuer à nous désaltérer, et à mettre les sommes correspondantes dans la caisse. Helmut et Gretel, nous le comprîmes aisément, auraient tant voulu voyager à l’étranger… en France notamment. Helmut était typographe, et ancien combattant de la Wehrmacht, dans son extrême jeunesse, sans l’avoir décidé. Je préférai ne pas douter… Quelques années plus tard, Helmut aurait pu voyager, il n’en avait plus envie, Gretel était décédée, il nous l’avait écrit, en pleurant… 


Tous les vacanciers sauf nous les quatre Français, pourtant j’aurais tant voulu suivre, se rendirent en voyage organisé pour eux, en car, le 29 avril, pour commémorer et se recueillir, à Thérésienstadt. Je rageais… Je savais déjà que je regretterais ça ma vie durant. La directrice a parfaitement compris notre tristesse… Nous n’étions pas autorisés, car nous n’avions pas le visa adéquat. Que craignaient-ils, que nous fassions le Mur pour nous installer en Tchécoslovaquie ? 


Alors, visiter l’église, elle n’était pas fermée, d’une petite ville voisine, Porschdorf. Le cimetière accolé, sur l’herbe bien verte et bien taillée, les pierres tombales, semblaient participer à un pique-nique printanier, dans l’ombre de grands arbres. Sur la route, entourés de murets, des maisons avec du gazon. De curieuses tondeuses laineuses nous regardaient passer… et bêlaient, comme chez nous ! Enfin des êtres vivants avec qui nous pouvions facilement converser !


La maison de vacances surplombait l’Elbe. Pour traverser le fleuve, il y avait un bac, que nous prenions et reprenions avec joie, en admirant les canards, les cygnes. Le bureau de poste m’attira, et là je rajeunis de trente ans, je revins soudain à l’âge où j’habitais dans de tels bureaux de poste…

Mal éclairé, étouffant, exigu, des vitres enserrées dans des boiseries sombres, un parquet usé qui pourrait raconter l’Histoire des cent dernières années… En sortant, les timbres dans mon porte-monnaie, une affiche de film, nous ramena dans les années 80 : DEPARDIEU et son acolyte RICHARD. 


Le Premier Mai, un orchestre vint pour nous, les 36, un quatuor. Les tables furent poussées, le parquet apparut alors dans toute sa beauté, de teinte claire, il glissait parfaitement. Un petit alcool pour m’aider, et j’arrivais pour une fois à danser… Ils ne jouèrent ni valse, ni tango, ni slow, ni marche, ni Paso doble, encore moins de rock, mais un mix sautillant, entraînant, qui se dansait point trop serré dans les bras du partenaire… Manuel, lui, un danseur hors pair, ne put jamais cependant m’apprendre les danses de salon dans lesquelles il excellait ! 


Le dimanche, nous allâmes à Königstein, après avoir fait la queue à l’extérieur, pour une table, dans une sorte de salon de thé, tout était tellement différent. Nous y rencontrâmes, quelle coïncidence, car elle nous avait entendus parler, la Parisienne, employée de la revue, qui avait organisé notre périple.

Nous lui expliquâmes nos désillusions, notamment la non-visite en Tchécoslovaquie, le train à Supplément, et aussi, que nous avions payé notre trajet jusqu’à Paris… Elle nous présenta ses excuses, mais ne proposa pas un remboursement !

Nous montâmes à la Forteresse. Vite, une table, des chaises même inconfortables, pour nous reposer et nous réhydrater après cette ascension épuisante… Pour la première fois de ma vie, je vis… et j’entendis des Russes… Nombreux, grands, costauds, ils riaient à gorge déployée, ils parlaient fort, et chahutaient, ils rotaient aussi… Ils m’auraient presque fait peur, si je ne m’étais souvenue que durant les deux guerres mondiales, ils avaient été nos Alliés…

 
Descendre l’Elbe, sur un bateau à roues à aubes, jusqu’à la frontière Tchèque, près de Bad SCHANDAU. Nous nous assîmes sur des banquettes en bois, sur le pont, pour admirer les paysages de la Suisse Saxonne, et sur les berges, les Cygnes et les canards métallisés des Monts Métallifères. À peine assis, on nous proposa des pâtisseries et des rafraîchissements…

 
Fleurs, pâtisseries et sourires, la langue internationale… Car pendant quinze jours, on a vécu en RDA, avec des personnes, sans pouvoir communiquer vraiment ! Je fis cependant mon trou dans cette maison de vacances, entourée de pommiers en fleurs. Dans les pins des écureuils.

La Vallée de l'Elbe : de Dresde à Prague 

Tag(s) : #textes et nouvelles d'aujourd'hui
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