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Apuck, à demi endormi devant le foyer, se releva d'un coup, l'oreille dressée, le poil hérissé. Il se mit à gronder. Ailo saisit son couteau d'os et de bois et s'approcha de la porte. Ce n'était pas un ours qui venait, non. Ni un glouton, ni un loup. Le vieux spitz serait resté tranquille : ces animaux ne menacent les maisons humaines, mêmes exiguës, et isolées, comme celle-ci. Elles ont des murs solides et leurs occupants sont pleins de ruses ; ils connaissent des secrets, il possèdent le feu. Qui se risquerait chez eux ? Ils y sont invincibles.

Ailo s'immobilisa tout près de l'épaisse porte de planches. Il retint son souffle, tendit l'oreille.

Un pas, hésitant, amorti, mais reconnaissable, celui d'un humain.

Qui pouvait venir, au début de l'automne, alors que déjà la neige recouvrait la Toundra ? personne d'autre qu'eux n'habitaient par ici ; Ils demeuraient seuls tous les deux dans cet infime village abandonné. quand leurs enfants étaient partie pour des lieux plus prospères, plus peuplés, Ailo et Divuoma n'avaient pas voulu les suivre ; ils étaient demeuraient à l'endroit de leur jeunesse.

Ailo assura sa prise sur le couteau. Il jeta un coup d’œil rapide derrière lui, vers l’obscurité de la cabane.  Sous la pauvre marmite il ne restait plus que des cendres et Divuoma  avait étouffé la lampe,  amis il la devinait dans  dans l'ombre,vigilante, les mains serrées sur le long manche de sa petite hache. Les pas se rapprochaient, inégaux, raclant la neige tassée sur la trace d’accès à la cabane. Ailo perçut un souffle, serré, pénible : un homme épuisé.  Et seul. Ailo était vieux,  mais son ouïe demeurée fine reconnaissait  espèce, nombre, allure et état de tous les animaux passant à proximité.

Il entrouvrit la porte sur le paysage plat, blanc de neige et de lune. Un homme titubait. Il réussit à atteindre le perron sans tomber. grand, les épaules larges, des glaçons dans la barbe blonde, presque rousse : un étranger.

Ailo s'écarté, l'homme entra. Divuoama ranima le feu, ralluma la lampe. Elle versa tout le contenu de la marmite dans un grand bol et le lui tendit,  fumant. elle détacha du plafond la lanière de viande suspendue à sécher et la lui donna. l'homme remercia d'un rapide signe de tête ; son visage se plissa en un sourire lumineux. Il mangea avec avidité, et un plaisir visible.

La vapeur de ses habits et celle du potage brûlant l'auréolaient. Quand l'étranger eut mâché et avalé  la dernière bouchée de Kuivaliha, Ailo lui désigna un coin de la cabane : Divuoma y avait entassé des fougères bien sèches et des peaux. l'homme remercia, cette fois en s’inclinant légèrement, la main droite sur le coeur. Il s'effondra sur la modeste couchette et on l’entendit ronfler presque toute de suite.

- Je n'ai plus rien à manger pour nous, dit Divuoma.

-Je sais, dit Ailo. Vines, on va dormir. Demain j'irai pêcher. Tu es là et je suis là, nous sommes encore tous les deux ; nous aurons chaud.

Ils s'étendirent sur leur propre paillasse dans un autre coin de la cabane. Ils tirèrent sur eux la vieille peau d'ours qui était leur couverture. Os contre os, peau sèche contre peau rêche, maigres et raides, ils s'endormirent le ventre vide, lovés l'un contre l'autre, bien au chaud.

Photo Julie Ladret

Tag(s) : #Poésie en Stéphanie
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